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31 janvier 2012

Estime-toi heureux

Estime-toi heureux

De ne pas manger des limaces et des insectes

D’être

D’être ailleurs

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De n’être pas idiot

De n’être pas génial

D’avoir

D’avoir eu

D’avoir été

De ne pas avoir la chair de poule

De ne pas avoir l’air d’avoir l’air

De vivre

De ne pas vivre trois jours

De ne pas vivre trois millions d’années

De voir

De voir ton ombre

De n’être pas vu par ton ombre

D’aimer

D’aimer les crocus

De ne pas aimer tout aimer

De t’estimer

De ne pas t’estimer à combien

De ne pas en être arrivé là

D’en être arrivé là

De pouvoir

De pouvoir t’estimer

De t’estimer pouvoir

De pouvoir t’estimer heureux

 

© Éditions Orage-Lagune-Express 2011. Droits réservés.

20 mai 2011

Carnet des pivoines

Ces nuits, un vent doux fait onduler les frênes et encourage les pivoines à s’ouvrir.

Toujours du suspens avec les pivoines. Elles se méfient de la lune rousse, des Saints de glace et des ruses du vieil hiver épuisé en gardant leurs boutons hermétiquement clos jusqu’à la véritable installation des beaux jours. Elles risquent alors un pétale, pas un de plus, qui va rester ainsi déplié tout seul en éclaireur, parfois pendant plusieurs jours, puis se décident à s’épanouir, je dirais plutôt à se défroisser, lorsque le second printemps prend des airs d’été.pivoine,fleur,jardin,mai,printemps,été,campagne,nature,frêne,arbre,nuit,orage,brise,christian cottet-emard,blog littéraire,carnet,journal,note

Le vent tiède de ces nuits de mai a convaincu les pivoines de se lancer dans l’aventure. Le pétale éclaireur se confond  avec les autres et l’ensemble se déploie très vite comme une boule de papier crépon.

Les pivoines dont je parle sont celles qui m’ont accompagné pendant mon enfance. Une variété ancienne. Larges, blanches avec un liséré rouge en leur cœur au parfum sans pareil, elles sont toutes issues du même plan qui a prospéré au moins depuis les années 1950 dans le jardin de la maison construite par mon aïeul au début du vingtième siècle. La vente de cette propriété a été un tel crève-cœur pour moi que j’ai emporté des rhizomes du grand massif dans ma propre maison, achetée en 1992,  où les pivoines se sont parfaitement acclimatées. J’ai renouvelé l’opération lorsque j’ai vendu ma maison de ville pour acquérir, à la campagne, la propriété de famille où je vis désormais depuis plus de deux ans, le temps qu’il a fallu cette fois aux pivoines pour reformer un début de massif à une altitude supérieure et sous un climat plus rude.

Mes belles parfumées en sont à leur troisième déménagement. Je les contemple longuement car une fois fleuries, leur vie est courte. Les fleurs sont en effet si lourdes qu’elles fragilisent les tiges. Un coup de vent impétueux, un pluie trop lourde, un orage, et voilà les pivoines en déroute. Pour l’instant, la météo leur est favorable et je vais pouvoir entendre auprès d’elles les vieilles histoires qu’elles me racontaient déjà dans le jardin lorsque j’étais en culottes courtes. Elles vont aussi me parler de mes chers défunts comme elles seules peuvent le faire.

J’aime les pivoines pour leurs paradoxes. Vivaces et fragiles, rustiques et sophistiquées, résistantes et inadaptées, capricieuses et vaillantes. Finalement, j’ai toujours vécu avec elles malgré mes déménagements Dieu merci peu nombreux et peu lointains. Je mesure en ces nuits de douce brise ma chance de pouvoir vivre encore auprès d’elles, sous les grands frênes, dans un vaste espace de verdure et dans des heures lentes, le seul luxe qui compte pour moi.

21 avril 2009

Silences

IMG_5988.JPGLes petits travaux de la vie quotidienne me plongent dans une hébétude qui me fait honte. Depuis au moins trois semaines, je ne réponds pas au courrier, ne donne pas de nouvelles aux amis et trouve pourtant que le temps passe trop vite. Et ce spleen qui m’envahit chaque fois qu’une fête est passée, en particulier Pâques que j’aime beaucoup.
Au courrier de ces vacances de Pâques, un nouveau livre dédicacé de ff4a1c16232bf384.jpgFrançois Perche * au titre prometteur, Les Petites filles de mon enfance ne clignent pas les yeux (éditions MLD) que je lirai lorsque je ne me sentirai plus fermé comme une vieille serrure grippée.
Répondu à une interview du magazine en ligne BSC News qui paraît vendredi. J’avais donné mon accord voici quelques temps, donc pas question de me défiler au dernier moment.
Encore pas réagi à la proposition du responsable d’une revue que je lis depuis longtemps et dont il m’ouvre amicalement les pages pour une chronique régulière où, pour reprendre son expression, j’aurais le champ libre. J’hésite en voyant mes livres en cours prendre du retard mais j’ai bien envie d’accepter. Toujours ces hésitations, ces réticences à me lancer. Un pas en avant, deux pas en arrière. Je voudrais lasser tout le monde que je ne m’y prendrais pas autrement. Ce doit être ce que Montale appelait « la vie à 5 % » (je cite de mémoire et ne suis donc pas sûr du pourcentage). 
Retrouvé dans des papiers anciens un mot de Christian Bobin qui m’adresse de sa belle écriture ronde des gentillesses sur mon recueil de petites proses L’Inventaire des fétiches, publié en 1988. Étrange de voir remonter cette lettre du désordre de mes archives au moment où je commence à feuilleter son livre La Dame blanche avec ces lignes en quatrième de couverture : « Sous le soleil clouté d’Arabie et dans la chambre interdite d’Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté (Arthur Rimbaud et Emily Dickinson, NDR)  travaillent à se faire oublier. » N’étant ni l’un ni l’autre et encore moins ascétique, j’ai bon espoir de me rappeler bientôt au souvenir de celles et ceux qui ont bien du mérite à ne pas m’oublier... Comme ce jeune chat en quête d’un territoire qui me toise à juste raison, tous les soirs à la même heure, d’un regard perplexe.

* François Perche lisant un de ses livres au salon du livre de Saint-Claude, Jura. (Photo MCC)